Sofyen Khalfaoui, responsable du département Protection auprès de Save the Children Suisse, s’est récemment rendu à Maicao, en Colombie, pour une visite de projet. Dans cette interview, il explique ce que Save the Children réalise là-bas, comment nous venons en aide aux enfants migrants et quelle est l’ampleur de cette crise migratoire au niveau mondial.
Sofyen Khalfaoui, pouvez-vous nous donner un bref aperçu de cette visite en Colombie. Vous vous êtes-vous rendu où exactement? Qu’y avez-vous fait et quel est le rôle de Save the Children dans ce contexte?
Pendant mon séjour, je me suis rendu à Maicao dans le nord du pays, à la frontière du Venezuela. C’est l’un des principaux lieux où Save the Children réalise des activités qui aident aussi bien les enfants vénézuéliens et leurs familles que ceux des populations autochtones. La frontière de Maicao étant l’un des points de passage les plus importants pour les migrants venus du Venezuela, nous nous concentrons avant tout sur la réalisation de projets de prévention, en réaction aux risques et aux problèmes auxquels les familles sont confrontées durant leur exode – pour pallier p. ex. le manque de couverture sanitaire, de nourriture, de protection et d’éducation. Quand nous avons commencé ce projet d’aide humanitaire, une aide financière sous forme d’argent liquide a été décisive pour établir la confiance dans les communes concernées, car il s’agissait d’une mesure concrète et directe, qui permettait d’aider les familles à retrouver un semblant de normalité dans ce nouvel environnement. Ensuite, nous sommes intervenus dans d’autres domaines, afin de répondre aux besoins les plus urgents.
Il est intéressant – et à la fois désolant – de constater que toutes ces mesures ont été prises en réaction à l’une des crises migratoires les plus graves dans le monde. J’ai fait de mon mieux pour soutenir l’équipe dans cette tâche, «mettre en scène» en quelque sorte ses tâches les plus importantes.
Je dois aussi souligner qu’il s’agit là d’un contexte particulièrement complexe, car nous sommes confrontés à de nombreux problèmes concomitants et devons définir des priorités en parallèle dans une situation totalement imprévisible. Par exemple, les familles empruntent des itinéraires migratoires informels. Et donc, il est souvent impossible de planifier des interventions formelles et clairement définies. En tant qu’organisation de défense des droits de l’enfant, nous devons imaginer de nouvelles voies et nous montrer créatifs pour que les enfants qui sont embarqués dans cette aventure migratoire puissent faire respecter leurs droits. C’est à nous de nous adapter à la situation présente et de faire tout ce qui est notre pouvoir pour protéger les enfants menacés d’exploitation, d’abus et de négligence au Venezuela et en Colombie. Nous sommes également confrontés à des cas de mineurs non accompagnés, qui ont besoin d’une aide personnalisée, tandis que certains risques auxquels les enfants sont exposés peuvent, à première vue, ne pas être perceptibles.
Vous avez visité la clinique des femmes à Maicao. Quel est le rôle de Save the Children dans cet établissement?
Cette clinique porte précisément le nom d’«unité pour la santé sexuelle et reproductive». Elle offre une aide médicale aux femmes enceintes avant et après l’accouchement, ainsi que des soins pour les mères et leurs enfants. Elles peuvent en outre y bénéficier d’un suivi psychosocial, ce qui est important pour soutenir moralement ces familles. Ici, elles savent qu’elles ont un endroit où elles peuvent venir, où elles seront entendues et pourront recevoir des soins de santé de haute qualité.
C’est une approche intéressante. Mais Save the Children, outre cette clinique, gère aussi des cliniques mobiles pilotes?
Effectivement. La situation est très fluctuante, et bien qu’il soit difficile de disposer de lieux d’intervention clairement définis, compte tenu des besoins sur le terrain, nous sommes obligés d’organiser des interventions mobiles. C’est la raison pour laquelle nous sommes en train de planifier un nouveau concept de cliniques mobiles et d’espaces protégés ambulants pour les enfants. Nos cliniques mobiles sont, par exemple, des camionnettes complètement équipées, qui circulent sur les routes empruntées par les migrants, et offrent des soins de santé et une protection pour les enfants.
Il doit être très difficile d’assister à un tel état d’urgence. Quelles ont été vos impressions personnelles?
Bon, tout d’abord, quand on arrive à Maicao, c’est une ville où on a l’impression que tout fonctionne normalement. Mais l’équipe qui travaille là-bas m’a aidé à «lire entre les lignes» et à discerner quels étaient les besoins les plus urgents dans notre environnement immédiat. Nous avons visité également un camp informel à la périphérie de Maicao, dans lequel nous réalisons des projets d’approvisionnement en eau et de protection pour les enfants migrants. Je me sentais partagé entre la satisfaction de voir que Save the Children a réussi à apporter une contribution extrêmement importante pour la communauté des migrants locale, mais j’ai aussi ressenti une frustration sur le plan humanitaire, en réalisant tous les besoins encore existants. En tant que mouvement international, nous continuerons de travailler étroitement avec des enfants en Colombie et dans la région, afin de combler peu à peu ces lacunes.
Il ne faut pas oublier que cette crise migratoire est la plus importante après la Syrie. La crise qui sévit au Venezuela pourrait amener, à elle seule, cinq millions de personnes à quitter leur pays d’ici la fin 2019 – je n’arrive pas à m’imaginer quelles seraient les conséquences pour les enfants, si la situation venait à empirer.
A Save the Children, nous venons de mettre en place une Plate-forme sur la migration des enfants pour lancer des recherches et stimuler l’innovation dans le domaine de la programmation de la migration des enfants, fondée sur l’idée que nous pouvons apprendre des réponses actuelles comme celle de la Colombie pour pouvoir continuer à développer un savoir-faire thématique mondial.